Israël- Palestine : une paix possible ou un conflit sans fin? Tribune de Patrick Baudouin, Président de la LDH, 23 octobre 2023
Une tribune publiée sur Mediapart
Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations unies approuve le plan de partage de la Palestine, alors sous mandat britannique, en prévoyant la création d’un Etat juif – sur 60% des territoires – et d’un Etat arabe, avec placement de la ville de Jérusalem et de sa proche banlieue sous contrôle international. La création de l’Etat d’Israël est proclamée le 14 mai 1948 et dès le lendemain les pays arabes voisins lui déclarent la guerre, qui s’achève par une victoire israélienne le 30 mars 1949, non sans un exode massif d’arabes palestiniens. Depuis lors, et surtout depuis la guerre des Six Jours de juin 1967, ce n’est qu’une succession de conflits, entrecoupés de périodes d’accalmie relative.
Le 22 novembre 1967, l’Assemblée générale des Nations unies adopte pourtant la résolution n°242 qui exige en termes clairs l’application des deux principes suivants pour l’instauration d’une paix juste et durable au Proche-Orient : le premier est le retrait des forces armées des territoires occupés, et le second la cessation de tous actes de belligérance avec reconnaissance de la souveraineté de chaque Etat de la région « et de leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues ». Hélas cette résolution, comme toutes celles postérieures, est non seulement restée lettre morte mais les deux principes posés ont été violés de façon accrue au fil du temps. C’est ainsi que, d’intifadas en opérations de type « plomb durci », la situation est devenue de plus en plus violente et explosive sans intervention déterminée et efficace d’une communauté internationale paralysée.
La colonisation systématisée de la Cisjordanie et de Jérusalem Est a permis aux colons de s’approprier terres et habitations des Palestiniens. Le lot réservé aux colonisés est fait d’arrestations arbitraires massives, de transfert forcé de populations, d’accaparement de ressources naturelles, de restrictions à la liberté de circulation et aux autres libertés fondamentales, de pratiques avérées de tortures, de punitions collectives. Ces violations des droits et toutes sortes de discriminations touchent également la population civile à l’intérieur même de l’Etat d’Israël surtout depuis le vote en juillet 2018 de la loi fondamentale proclamant celui-ci « Etat nation du peuple juif » et considérant « le développement de la colonisation juive comme un objectif national ». Quant aux deux millions de Palestiniens vivant dans la bande de Gaza, ils subissent depuis quinze ans, à la suite de la victoire électorale du Hamas, blocus aérien, maritime, terrestre, et actions de représailles.
La politique désastreuse menée par l’actuel gouvernement extrémiste Netanyahou, développant la colonisation et accroissant la répression, n’a fait qu’aviver les tensions et mener Israël au bord du gouffre. L’erreur a également été commise de contribuer à l’affaiblissement de l’Autorité palestinienne, en renforçant de ce fait le pouvoir du Hamas laissé maître du jeu sur son territoire de Gaza. La communauté internationale a préféré s’accommoder d’un statu quo illusoire, et même se féliciter d’un rapprochement d’Israël avec certains pays du monde arabe sans prise en compte des Palestiniens abandonnés à leur sort. Le réveil ne pouvait être que douloureux.
C’est malheureusement dans l’horreur absolue que les 7 et 8 octobre le monde a appris avec stupeur et effroi que des milices lourdement armées du Hamas ont pénétré dans de très nombreuses localités israéliennes pour se livrer à la pire barbarie en visant essentiellement des populations civiles, commettant massacres, viols, enlèvements, incendies. Ces actes émanant d’une organisation qualifiée de terroriste, relevant d’une violence injustifiable, constituent des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité tels que définis par le statut de la Cour pénale internationale (CPI) puisque « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ».
Les gouvernants d’Israël ont choisi de riposter en utilisant une énorme capacité de destructions et de morts, faisant subir aux habitants de Gaza des bombardements continus, leur imposant un transfert massif de population du Nord vers le Sud du territoire, les privant d’eau, de vivres, de médicaments, de carburant ou d’électricité y compris dans les hôpitaux. De tels actes de violence contre les civils commis par les Israéliens répondent pour le moins à la définition de crimes de guerre. Les responsables des deux côtés de tels actes devront rendre des comptes à la justice.
Face à cette catastrophe, tout doit d’abord être mis en œuvre pour obtenir l’application du droit humanitaire international, et donc exiger la libération immédiate de tous les otages détenus par le Hamas, un cessez-le-feu immédiat avec la fin des bombardements et du déplacement forcé de la population, la protection de tous les civils, la mise en place d’un corridor humanitaire largement ouvert au passage de tous les produits de première nécessité, et la levée du blocus.
La LDH en appelle à la communauté internationale, à l’Organisation des nations unies (ONU), au Conseil de l’Europe, à l’Union européenne et à la France pour faire pression en ce sens auprès des parties concernées.
Cependant, parce que chaque vie compte, et que la sécurité ne sera jamais assurée par la vengeance et la haine, cet objectif impérieux de cessation des hostilités n’est pas exclusif de la recherche, sans plus attendre, d’une paix qui ne se construira que dans le respect du droit. Ce que dit le droit, c’est qu’Israël a comme tout Etat le droit d’exister souverainement et en sécurité ; et c’est aussi qu’Israël a comme tout Etat le devoir de respecter le droit et ainsi de ne pas continuer en toute impunité à violer les droits imprescriptibles des Palestiniens, ce qui suppose la cessation de toute occupation ou colonisation.
Dans une résolution votée en 2015 au Congrès du Mans, la LDH rappelait cette nécessité d’appliquer le droit international, et réaffirmait « le droit à l’existence d’Israël » ainsi que « son plein et entier soutien au peuple palestinien » et à la reconnaissance d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967. La LDH ne déviera pas de cette ligne directrice, seule susceptible de briser le cycle infernal de la terreur, et de permettre aux peuples d’Israël et de Palestine de partager leur humanité commune en parvenant enfin à l’instauration d’une paix juste et durable. Le désespoir doit céder la place à l’espérance : du pire d’aujourd’hui peut surgir le meilleur de demain.
Patrick Baudouin, président de la LDH